Le pari du tourisme solidaire
publié le : 21 juillet 2015
Créer une agence de voyage: avec double sens, le pari du tourisme solidaire - Les Echos business - 15/07/15 de Double Sens
SERIE "Entrepreneurs de l'été". Créer une agence de voyage, un rêve pour beaucoup. Avec Double Sens, Aurélien et Antoine ont relevé le défi. Avec un supplément d’âme : celui du tourisme solidaire.
Entre deux avions. Toujours. Forcément. Créer son entreprise dans le tourisme, cela a ses avantages. C’est donc un jeune entrepreneur au teint ensoleillé toute l’année que l’on rencontre en la personne d’Aurélien Seux. Mais dès qu’il parle, on est loin du cliché du baroudeur à catogan/pataugas.
Lui, ce qui le fait vibrer, c’est le voyage solidaire, une façon de voyager « utile » pour les autres (et aussi pour soi), en plein développement.
Avant la mode, alors que la tendance « éthique » n’en était qu’à ses balbutiements, Aurélien fait le pari de lancer son agence de voyages solidaires, avec un ami d’enfance, Antoine Richard. Ils ont 22 ans, Antoine est cadre chez IBM à Londres, Aurélien, lui, travaille en Tanzanie pour une ONG. « Nous avons travaillé six mois ensemble sur le concept, puis nous nous sommes rapprochés de Réseau Entreprendre (NDLR : un réseau d’accompagnement à la création d’entreprise) : ils nous ont conseillé d’aller sur le terrain. » Car sur le secteur du tourisme, nombreux sont appelés, peu sont élus ! Du rêve au terrain, le voyage d’une vie.
Loin des clichés, loin des rêves, comment crée¬-t-¬on son agence de voyage ? Les deux complices passent trois mois au Bénin, en repérage. « Nous avons choisi le Bénin car c’est un pays francophone et stable, de taille réduite, avec encore peu de tourisme, de bonnes bases pour débuter ! explique Aurélien.
Au début, nous sommes allés voir les institutions classiques comme l’Ambassade de France, les missions économiques. Ils nous ont découragés ! Nos contacts, nous les avons trouvés via des expatriés, des personnages rencontrés par hasard, puis par le bouche-à--oreille. »
Peu à peu, les deux jeunes se tissent un solide réseau, repèrent avec eux des lieux de visite et d’hébergement et, surtout, trouvent des partenaires locaux crédibles côté solidaire. Les clés du tourisme solidaire Grâce à Double Sens, 35 emplois ont été créés dans les pays destinations. Si, au Bénin, l’agence a ses propres salariés, dans les autres pays, l’agence travaille avec des réceptifs locaux qui ont dû recruter pour cette activité spécifique.
La règle d’or des deux entrepreneurs : « ne pas faire du solidaire un prétexte. » Car la clé, c’est bien évidemment de pouvoir attester du sérieux de la démarche solidaire. Double Sens participe à ce jour à une vingtaine de projets sur le terrain. Ainsi, au Bénin, l’agence travaille avec les autorités locales sur des formations informatiques. « Le but, c’est de créer des liens forts, des relais solides afin que le projet se poursuive même quand nous n’avons pas de groupes de voyageurs sur place. Cela permet aussi aux voyageurs de se sentir tout de suite utiles parce que le projet tourne déjà quand ils arrivent. » Rien à voir, donc avec des projets humanitaires « cosmétiques » qui s’arrêtent dès que les touristes ont le dos tourné.
Autre critère fondamental : l’immersion dans une communauté sur place. Pour cela, les groupes sont toujours de taille réduite (4 à 6 voyageurs le plus souvent)
Des exemples ? De la formation informatique au Bénin, de la préservation de l’environnement au Sri Lanka, du tourisme communautaire en Equateur, ou encore de la formation au tourisme au Cambodge. « Nos voyageurs ne remplacent jamais la main d’œuvre locale, précise Aurélien. Ils ne sont pas non plus considérés comme des portefeuilles par les habitants, ceci grâce à une longue implication de terrain. En clair, nous sommes plus sur du développement communautaire qu’humanitaire. » Le soutien se fait aussi financier, mais là encore dans une démarche très réfléchie.
Au¬-delà des retombées économiques directes locales, Double Sens reverse 50 euros par voyageur à des projets solidaires. En outre, les anciens voyageurs de Double Sens ont créé une association, Frères de Sens, qui a ainsi permis de rassembler 50.000 euros en 2014. Le casse-tête juridique Si créer une entreprise dans le domaine du voyage fait rêver, Aurélien et Antoine sont vite confrontés avec une réalité moins glamour.
A l’époque, en 2006, il fallait en effet, pour obtenir la licence professionnelle obligatoire, présenter 100.000 euros de garantie bancaire, souscrire une assurance responsabilité voyage et avoir été cadre dans une agence afin d’avoir le statut… « En clair, c’était juste impossible pour nous », lance Aurélien.
Loin de se décourager, il contacte un ami propriétaire d’une agence de voyage : il peut donc entamer son activité via la création d’une nouvelle branche de cette agence. « Ceci nous a permis de tester notre activité pendant deux ans, avant de la lancer en nom propre ensuite. » Ce sera, enfin, le début de Double Sens, sous forme de SARL. Des anges gardiens pour le financement Côté financement, Aurélien et Antoine parviennent à négocier de mettre « seulement » 50.000 euros sur la table en garantie : « Nous n’avions là non plus pas la somme nécessaire, mais notre parrain chef d’entreprise de Réseau Entreprendre, Hugues Robert, nous a apporté 20.000 euros. Pierre¬ Yves Legris (de Legris Industrie) a également apporté 20.000 euros. Deux ans plus tard, Hugues Robert a rajouté 50.000 euros en compte courant… » Un ange gardien de taille pour les deux entrepreneurs… !
Des débuts chaotiques, un voyage mouvementé En effet, si l’idée est belle, les résultats ne suivent pas totalement… : « Les trois premières années, nous avons perdu 30.000 euros par an", avoue Aurélien Seux. Le tourisme solidaire étant à ses débuts, Double Sens ne fait voyager qu’une trentaine de personnes par an. 2009 et 2010 seront plus clémentes, et la jeune entreprise atteint l’équilibre. Le début d’un périple au long cours ? Ce sera sans compter l’actualité : « En 2011, nous avons vraiment souffert : entre le printemps arable et les troubles au Burkina Faso, alors que nous n’étions présents que dans ce pays et au Bénin, nous avons enregistré 100.000 euros de perte. Ce fut particulièrement difficile, se souvient Aurélien. Avec Antoine, nous fêtions nos 30 ans au Bénin et en même temps, nous devions négocier par téléphone avec notre banque pour qu’ils ne nous coupent pas les vivres. » Là encore, leur parrain entrepreneur, Hugues Robert, vient à leur rescousse. : « Il est entré à hauteur de 20% au capital de l’entreprise, en apportant 60.000 euros, détaille Aurélien. Il nous a également prêté à chacun 20.000 euros. » De quoi sortir la tête de l’eau et éviter de mettre la clé sous la porte. La grande traversée vers la croissance Aujourd’hui, Double Sens vogue vers son rythme de croisière.
Au début, nous sommes allés voir les institutions classiques comme l’Ambassade de France, les missions économiques. Ils nous ont découragés ! Nos contacts, nous les avons trouvés via des expatriés, des personnages rencontrés par hasard, puis par le bouche-à--oreille. »
Peu à peu, les deux jeunes se tissent un solide réseau, repèrent avec eux des lieux de visite et d’hébergement et, surtout, trouvent des partenaires locaux crédibles côté solidaire. Les clés du tourisme solidaire Grâce à Double Sens, 35 emplois ont été créés dans les pays destinations. Si, au Bénin, l’agence a ses propres salariés, dans les autres pays, l’agence travaille avec des réceptifs locaux qui ont dû recruter pour cette activité spécifique.
La règle d’or des deux entrepreneurs : « ne pas faire du solidaire un prétexte. » Car la clé, c’est bien évidemment de pouvoir attester du sérieux de la démarche solidaire. Double Sens participe à ce jour à une vingtaine de projets sur le terrain. Ainsi, au Bénin, l’agence travaille avec les autorités locales sur des formations informatiques. « Le but, c’est de créer des liens forts, des relais solides afin que le projet se poursuive même quand nous n’avons pas de groupes de voyageurs sur place. Cela permet aussi aux voyageurs de se sentir tout de suite utiles parce que le projet tourne déjà quand ils arrivent. » Rien à voir, donc avec des projets humanitaires « cosmétiques » qui s’arrêtent dès que les touristes ont le dos tourné.
Autre critère fondamental : l’immersion dans une communauté sur place. Pour cela, les groupes sont toujours de taille réduite (4 à 6 voyageurs le plus souvent)
Des exemples ? De la formation informatique au Bénin, de la préservation de l’environnement au Sri Lanka, du tourisme communautaire en Equateur, ou encore de la formation au tourisme au Cambodge. « Nos voyageurs ne remplacent jamais la main d’œuvre locale, précise Aurélien. Ils ne sont pas non plus considérés comme des portefeuilles par les habitants, ceci grâce à une longue implication de terrain. En clair, nous sommes plus sur du développement communautaire qu’humanitaire. » Le soutien se fait aussi financier, mais là encore dans une démarche très réfléchie.
Au¬-delà des retombées économiques directes locales, Double Sens reverse 50 euros par voyageur à des projets solidaires. En outre, les anciens voyageurs de Double Sens ont créé une association, Frères de Sens, qui a ainsi permis de rassembler 50.000 euros en 2014. Le casse-tête juridique Si créer une entreprise dans le domaine du voyage fait rêver, Aurélien et Antoine sont vite confrontés avec une réalité moins glamour.
A l’époque, en 2006, il fallait en effet, pour obtenir la licence professionnelle obligatoire, présenter 100.000 euros de garantie bancaire, souscrire une assurance responsabilité voyage et avoir été cadre dans une agence afin d’avoir le statut… « En clair, c’était juste impossible pour nous », lance Aurélien.
Loin de se décourager, il contacte un ami propriétaire d’une agence de voyage : il peut donc entamer son activité via la création d’une nouvelle branche de cette agence. « Ceci nous a permis de tester notre activité pendant deux ans, avant de la lancer en nom propre ensuite. » Ce sera, enfin, le début de Double Sens, sous forme de SARL. Des anges gardiens pour le financement Côté financement, Aurélien et Antoine parviennent à négocier de mettre « seulement » 50.000 euros sur la table en garantie : « Nous n’avions là non plus pas la somme nécessaire, mais notre parrain chef d’entreprise de Réseau Entreprendre, Hugues Robert, nous a apporté 20.000 euros. Pierre¬ Yves Legris (de Legris Industrie) a également apporté 20.000 euros. Deux ans plus tard, Hugues Robert a rajouté 50.000 euros en compte courant… » Un ange gardien de taille pour les deux entrepreneurs… !
Des débuts chaotiques, un voyage mouvementé En effet, si l’idée est belle, les résultats ne suivent pas totalement… : « Les trois premières années, nous avons perdu 30.000 euros par an", avoue Aurélien Seux. Le tourisme solidaire étant à ses débuts, Double Sens ne fait voyager qu’une trentaine de personnes par an. 2009 et 2010 seront plus clémentes, et la jeune entreprise atteint l’équilibre. Le début d’un périple au long cours ? Ce sera sans compter l’actualité : « En 2011, nous avons vraiment souffert : entre le printemps arable et les troubles au Burkina Faso, alors que nous n’étions présents que dans ce pays et au Bénin, nous avons enregistré 100.000 euros de perte. Ce fut particulièrement difficile, se souvient Aurélien. Avec Antoine, nous fêtions nos 30 ans au Bénin et en même temps, nous devions négocier par téléphone avec notre banque pour qu’ils ne nous coupent pas les vivres. » Là encore, leur parrain entrepreneur, Hugues Robert, vient à leur rescousse. : « Il est entré à hauteur de 20% au capital de l’entreprise, en apportant 60.000 euros, détaille Aurélien. Il nous a également prêté à chacun 20.000 euros. » De quoi sortir la tête de l’eau et éviter de mettre la clé sous la porte. La grande traversée vers la croissance Aujourd’hui, Double Sens vogue vers son rythme de croisière.
En 2012 et 2013, Double Sens a réalisé 30.000 euros de résultat. Ceci grâce à de nouvelles destinations (Equateur, Sri Lanka, …) ce qui lui permet aujourd’hui de résister malgré la crise : « Dans un contexte ultra compliqué en Afrique, avec la peur du terrorisme, la crise Ebola, notre activité a chuté de 40% sur nos deux destinations historiques, souligne Aurélien Seux. C’est très frustrant car au Bénin et au Burkina Faso, la situation est stable, mais on ne peut aller contre les craintes des voyageurs… »
Chiffre¬ clés : 7 destinations 5 salariés à Paris 35 emplois créés sur place. 40 voyageurs par mois en 2014, dont un sur 6 qui renouvelle l’expérience Un secteur porteur qui se cherche Le secteur du tourisme solidaire, responsable, éthique est aujourd’hui en plein développement. Côté entrepreneur, comment se démarquer ?
Côté voyageur, comment faire le tri ? Beaucoup d’association de jeunes proposent d’effectuer des chantiers. Des tours opérateurs classiques, eux, s’engouffrent sur la brèche du tourisme responsable. Mais peu de structures proposent un mix des deux dimensions, à la fois tourisme et développement local. Pour aider le voyageur à s’y retrouver il existe deux structures professionnelles : l’Association pour un Tourisme Equitable et Solidaire, qui regroupe plutôt les structures associatives, et Agir pour un Tourisme Responsable.
Double Sens a choisi, pour le moment, de ne pas faire partie de ces structures, préférant suivre sa route, affiner son fonctionnement et ses critères seul. En revanche, l’entreprise a noué des partenariats avec de solides acteurs du tourisme : Voyageurs du Monde, Terre d’Aventure et Nomade : « Nous sommes leurs partenaires sur le volet solidaire, qu’ils ont souhaité développer », précise Aurélien Seux. Cela représente environ 10 % de l’activité de l’entreprise.
Leviers de développement Double Sens a devant elle plusieurs leviers de développement : la production de voyage avec le développement de nouvelles destinations (à terme, l’agence devait ouvrir 15 pays et employer 10 personnes à Paris), la communication et la force de vente. Pour cela, Aurélien envisage une levée de fonds de 500.000 à un million d’euros. Dans un avenir plus proche, comment un entrepreneur qui passe sa vie à organiser les voyages des autres envisage-¬t-¬il ses vacances ? « Une grande partie de ma famille vit à l’étranger, donc j’irai les voir, explique¬-t¬-il. Pour déconnecter, avec Antoine, nous partons une fois par an faire du kitesurf, afin de ne pas oublier qu’avant d’être associés, nous sommes aussi amis. »
Autre secret du chef d’entreprise pour se ressourcer : une semaine seul dans le silence d’une montagne. De quoi repartir plus fort vers les autres. Voyager autrement, entreprendre autrement Aujourd’hui, Aurélien et Antoine ne regrettent rien, affichant une joie de vivre et un appétit de voyage toujours aussi vifs : « Certes, la vie d’entrepreneur, c’est aussi perdre de l’argent, avant de pouvoir se rémunérer 1.000 euros par mois et enfin atteindre royalement 2.500 euros aujourd’hui. Mais nous sommes des patrons alternatifs » : pour eux, le plus important, c’est d’aller au bout de leurs rêves, et d’emmener d’autres personnes sur ce beau chemin. Voyager autrement, entreprendre autrement, tel est leur mantra.